OUVRONS LA FENÊTRE

Jour 11

J’avance lentement

la colère l’allégresse reconnues

jour pour jour et dent pour dent

voici l’heure qui remue

la nuit sonne

ce sont les sabots de ceux qui s’en vont

en mer marteler les vagues du poids de leur corps

de leurs poings de toute leur croyance en la vie

secouer les tiroirs sans fond

leur vérité n’a pas de prix

elle est le rire sans paresse

elle conduit l’audace du monde

elle fait monter à la lumière

les monceaux de lumière

arrachés aux louvoyants baisers du goémon

elle est le chant armé aux franges de lumière

il n’y a qu’un homme pour entendre

au plus fort de la bagarre

tendre cri du nourrisson

l’avenir crier plus fort

et les lames fulgurantes

amoncellent les clartés montantes

entourée de mille langues promises

joie j’ai pu te deviner

réinventer ton éblouissement

jusqu’à ton image sur terre

me fut cachée sous les déchets des grimaces

les lambeaux pestilentiels de la mort

(…)

comme cri perdu de goéland

je t’ai perdue peine profonde

le vent la nuit

c’est vrai j’avance lentement

mais dans chaque visage riant

s’est découvert prunelle de mes yeux

mon amour

l’amour présent et l’avenir

le poids du monde

Tristan Tsara

In Le poids du monde

Éditions Au colporteur,  1951