RESPIRATIONS

Chronique épistolaire

Des mots à inventer par-delà les frontières

Les plus belles trouvailles sont souvent faites d’accident… Simple banalité au départ, des nouvelles d’un ami voyageur, toujours en partance qui tardent à venir. Le téléphone qui sonne aux abonnés absents… À l’aube des séismes, l’inquiétude a tendance à chercher querelle à la confiance. Les jours s’égrènent impassibles. Puis, quelques jours plus tard une notification. Hounhouénou

Joël Lokossou… enfin ! Comédien nomade, poète à ses heures et inventeur de chance comme il aime à l’écrire, accessoirement membre du conseil d’administration de l’Antre avec ses mots en bandoulière déroulés depuis Cotonou où il séjourne actuellement. A la lecture, je me dis que la poésie est là, pas forcément où on l’attend. Quoi que… Voilà le texte diffusé auprès de quelques amis, unanimes et prompts à publier mes réponses. La suite, vous la découvrirez au gré des lignes d’ici là…

Bon voyage !

Cotonou, samedi 18 mars, 13h27

Objet : fulgurance Anne Lune

Bonjour Anne
Aujourd’hui c’est le bon matin du bon jour pour dire bonjour. Sans quitter le rêve dans lequel je suis, je reste lucide sur la suite de mon auto-confinement. Je suis sensé sortir le 29 mars, mais déjà il y a d’autres règlements qui ont me « reconfiner » autrement.

J’ai vu passer tes messages, chère Anne, mais j’étais dans un espace temps mouvement inadéquat à la prise amicale. Les tiens messages en SMS me sont parvenus qu’ici au Bénin. Ceci depuis le 14 mars.
Je te présente les mille excuses réglementaires pour le manque de réactivité, mais j’étais sous les avalanches des heures virulentes de ce temps sans mouvements.

Je reviens à la hauteur des choses. Je sors bientôt de mon auto-confinement décidé depuis le 14 mars. Figure-toi, chère amie, que depuis cette date je ne suis plus en marche mais confiné, qui l’eût cru : … Je me suis rassuré en me disant qu’en France c’est presque pire car la France est en Marche et confinée ; de la barre au sol sans sol en quelque sorte, une sorte de danse de saint Guy sans Guy, bref un mélange de genres.

À cette heure de COTONOU IMMANENT, NEF (mon auto-confinement), je trouve l’énergie et la joie de revenir raconter l’inénarrable. Je précise que la NEF  est la maison dans laquelle je m’auto-confine, je la nomme NEF parce qu’elle n’avait pas de nom et ne ressemble pas du tout à une NEF … ; bref je passe le temps ; Je parlerai de la NEF en détail… ; mais pour l’instant je reste un peu dans mon apprentissage.  Je commence à comprendre les méandres du confinement. De mon confinement. Je le construis dans le vif de l’instant !

Les confins du temps restent dans le rien de l’instant. Un temps hérité de nulle part qui me tombe dessus et je ne sais quoi faire avec. Je suis dans des Soudain.

Je suis presque à la fin de l’auto-confinement, quand soudain aujourd’hui j’apprends que finalement le Bénin va se mettre en “zonage confinement” dès lundi… A suivre…

Soudain dans mon auto-confinement ubuesque, j’hérite du temps sans mouvement à la place de ce qui passait les arpents de mon ancienne vie pérégrine. La vie de l’oiseau sur la branche. La vie des trains, blabla, et autres. À la place de cette vie d’avant, deux semaines de maintenant, figé.

À jouir l’épandu de cette désertification  temporelle, (je l’espère) dans l’attente du verre d’eau sans sucre que je vais bientôt commander dans les bars de Cotonou, j’en oublie les écluses amicales. Je suis resté reclus ébahi et étonné depuis le 14 mars dans une maison O! Chance combien agréable, j’ai pu avoir sans charmer un appartement mode tropical. La NEF. Cadjèhoun étant petit (mon quartier éternel), j’ai préféré m’isoler chez un ami qui avait un appartement libre pour moi dans un autre quartier appelé quartier JAK  et on peut garder nos distances, nouvelle formule. Une maison qui donne des possibilités.

J’en apprécie bien la climatisation dont j’use avec parcimonie. Il le faut bien. Mon séjour depuis fut ce que le repos annonce au repos. Le sommeil vite fait bien fait, le réveil aux rumeurs des employés de cette maison, oui ils sont deux, une togolaise et un du Niger. La maitresse de maison est camerounaise, le maitre de maison béninois. L’hôte se nomme Romain Ahouadi, l’hôtesse, maîtresse de maison Laure Dika et le fils unique de trois ans et demi a pour prénom Philippe et surnom Poutou (mais surnom donné sans aucuns liens avec le Philippe Poutou qu’on connaît en France). Vous avez dit  « hasard »? Bref, je suis dans un endroit assez agréable, et la vie y est bien.

De ce côté le tout va son rien de chemin. L’ennui à couver des fois entre des pages de roman que j’essaie de gober, mais l’esprit étant ce qu’il est on le confine difficilement. Je lambine à aller au bout de mes livres choisis, mais je commence à grignoter certains.

La situation de la pandémie est absorbante et m’absorbe trois jours sur deux, m’impose son règne. Le gouvernement béninois a pris des mesures en confinant ceux qui reviennent de voyages pendant deux semaines. Les béninois à l’hôtel aux frais de la république (sommeil et nourriture) les autres humains à leurs bourses s’accrochant devraient y aller. Mais il y avait l’alternative de choisir soi-même son lieu d’auto-confinement et d’y aller. Moi j’ai rejeté l’hôtel pour mon lieu de confinement. Ainsi je vois plus souvent mon pote et sa famille …toujours à un mètre, la maison grande nous y aide. Je suis un peu plus détendu vers la fin de cette retraite subite.

Il ne s’agit pas d’avoir peur mais de penser à la fin de tous les confins du confinement. Parfois je me surprends à envier la France et le confinement général de son territoire car ici je ne suis que moi dans le confinement d’observation, étant revenu de la France. D’autres fois, je me dis que quand même dès le 29 mars, je vais pouvoir sortir alors que la France sera entrain d’écouter encore la porte-parole HABITE DISNEY du gouvernement français.

Je ne sors évidemment pas (redondance mais par ces temps il vaut mieux le répétitif). Par ces temps, il fait même pas bon d’offrir aux gens la possibilité de savoir que tu viens de la France, la peur a dessiné de nouveaux cernes sur les visages et la géographie est surveillée de près. Je suis confiné, je me sens confiné. Je me suis auto-confiné. Il m’arrive de regarder le premier ministre français  PARI DU PÉDOPHILE sur la une (Tf1)  à répondre juste à côté et parfois il est vrai pile dans le mille sur la gestion de la crise.

Je suis dans le confinement sans bien savoir la chaleur du dehors.
Ici au Bénin, de jolies petites mesures sont prises et d’autres sont subites par le gouvernement.
Il y a les voyageurs confinés (mesures prises par le gouvernement) dont j’ai déjà parlé ; une mesure qui fonctionne dans le flou et dysfonctionne en clair et net. Mais après quelques loupés, les choses sont rentrées dans l’ordre.

Il y a la fermeture des frontières décidées par certains pays de la sous-région et qui, de fait, nous concerne.

Mais le Bénin décide semble-t-il de fermer les régions à l’intérieur. Donc je ne pourrais pas aller à Porto-Novo la capitale quand je sortirais de mon confinement. D’où le ” Zonage-confinement”

Je ne pourrais pas aller à Grand-Popo
Je ne pourrais pas aller à Ouidah
Je ne pourrais pas aller à Abomey
Je ne pourrais que rester à Cotonou, mais en mouvements, c’est déjà ça

Une sorte de guerre des tranchées sans tranchées ni trancher

Tu peux rester mouvant dans ton secteur. Donc en fait, je vais sortir de ma maison mais je serai à Cotonou, je ne pourrai pas sortir de Cotonou. Je passerai d’un auto-confinement à autre chose, il va falloir trouver un nom !

Cela s’appelle : «cordon sanitaire du confinement ».

Confinement
Confinement : situation d’une population animale trop nombreuse dans un espace trop restreint et qui, de ce fait, manque d’air, de nourriture ou d’espace. Le dictionnaire est clair : c’est ça.

Soudain ce lexique, soie inadaptée me frappe, aurait-on raté une occasion de nous inventer un vocabulaire ? Je prends le loisir d’y penser et dans le même béant,  je me mets à créer des temps de rien autour de mon auto-confinement…

Tu auras le résultat dans un autre message possiblement. Donc le confinement est un mot ainsi libellé « situation d’une population animale »… Je pense sincèrement que le mot a été choisi pour faire corps avec le pangolin que chacun sait animal… parce que cette définition m’annonce donc que ce sont des animaux qu’on confine. Mais peut-être que je perds le soleil de ma tête à force de tourner en rond dans la maison. Dans le doute je me mets à penser à un autre mot, que je trouverai peut-être puisque

Le lexique adéquat n’est plus, signe
la musique du silence renait, poétesse
Comment épouser celle de l’esprit en soi, sagesse?

Soudain je me rends compte que nous sommes des animaux à supériorité variable : Il faut bien passer le temps sans mouvement et garder l’esprit alerte. Je passe ainsi le temps.

Je passe donc mon temps, (le mien vraiment ?), à errer entre les livres que je n’arrive plus à lire, (ah si j’ai lu La Peste de Camus…) qui raconte aujourd’hui beaucoup mieux qu’aujourd’hui ! L’étranger de Camus, et d’autres , là je suis toujours Camus avec «  État de siège »

Je passe mon temps à jucher les lettres dans les marges
Je passe mon temps à attendre les repas que je commande à Martine (la duchesse cacahouètes)  qui vient souvent avec son neveu du prénom de Hoïstrack, ça me distrait et quand j’apprends que son deuxième ou premier prénom est Arnaldo, ça me distrait encore plus… Voilà un séjour par temps de confinement.

Dans quelques jours je vais voir le bout de mon tunnel en espérant que tout ne se durcisse par ici. Mais le bout du tunnel, si je ne trouve un sas avant le zonage confinement sera un continuum… Avec beaucoup plus d’espace… Mais je viens d’apprendre que réellement le cordon sanitaire démarre lundi, ça va être jouissif , ça va être Himalaya !

J’écris donc en comptant les jours
J’écris en décomptant les dates
J’écris en oubliant d’écrire sur ma projection
Je décompte les jours sans écrire
Je passe le passant temporel
Je reste dans le rien en faisant  de menus gestes
C’est un délire

Le délire sensible liberté qui surgit de l’être ouaté
Quelle heure d’entourloupe, gracieuseté, reconnexion
Quel bobard de circonstance, effrayant
Quel écart de soie, étirement
Quelle harmonie reconnectée, en soi

Je discute de temps en temps avec les copains . Au téléphone.

La chloroquine emporte les suffrages, notre vieux médicament contre le Palud est revenu sur la sellette. Le débat sur les effets secondaires est hilarant. On a donc reparlé des petits miracles du passé grâce à la Nivaquine. Ce médicament qui a fait ses preuves. D’ailleurs au Bénin on l’a utilisé encore il y a peu. On l’utilise encore.

Quelques jours passés, on l’a utilisé  pour ramener le premier cas de Covid 19, un burkinabé indiscipliné, non ! inconscient plutôt, qui n’a pas respecté les consignes de l’auto-confinement (il revenait de Bruxelles) et qui a gagné le premier prix frais surhaussé de tous les idiots pantelants qui accélèrent la propagation du virus. Une allemande a suivi et puis trois ivoiriens (de la même famille). Je ne sais ce qui a soigné les autres mais le burkinabé a eu droit à la chloroquine sous une des formes à avaler. Nous sommes donc à cinq cas d’essais du coronavirus sans décès, mais le gouvernement béninois remonte la chaîne quand même. La chaîne des malades pour voir tous les croisements. On imite un peu la Corée du Sud là.

Le Ministère de la santé, en réfléchissant à sa culture de parasites cherche à circonscrire le foyer naissant ! Les cinq malades ont donc pris à la légère la lourde charge du confinement et nous y voilà !

Toutes les nouvelles me viennent du dehors et dedans j’erre en moi
Je vais et je viens

Je viens badigeonner le temps de mon ennui de ces jours par un certain ajustage
Je viens badigeonner ainsi quelques phrases pour te  dire que je pense bien à toi, à vous
Je viens raconter les lettres prometteuses puisqu’il n’y a plus grand-chose à dire dans ce confinement
Je viens te dire que mon silence sonne comme un aveu du manque de sujet.
Pourtant les sujets ne manquent pas.
Je pense à toi qui doit te trouver en ce moment chez les Martiens, non?
Je viens chatouiller un peu les liens vivaces.

Je viens te dire que je te tiendrai au courant par zigzag à partir de lundi.
Je viens te dire que j’ai retrouvé un peu d’allant
Je viens te dire que mon billet d’avion va devoir subir une opération respirante, je vais lui donner un peu plus d’air et mon aire de séjour va s’agrandir jusqu’en mai ou en juin ou en juillet mais pas plus tard.

Je viens partager avec toi, par ce long message, ce temps des confins
Je viens, je suis venu me voici si si
Tiens tiens
Juste avant de remettre le point final à sa place, je fais une escale technique pour te dire que tes poèmes sont autant de peaux jouissives à humer, merci d’haire le monde autrement. Aimé Césaire habitait une blessure sacrée, c’est déjà le monde.

Je profite de cette escale pour te dire
Qu’en France la ministre du travail PURULENCE A MIDI est à un point de non-retour dans la grande déchéance mentale, je viens de l’entendre ou je viens d’essayer de l’entendre… C’est rare un tel niveau ! Celle de la justice, BOBO EN CELLULITE, ne parle pas du tout pendant cette crise… Allez bon on verra bien ! Je pioche au hasard. Je te raconte certaines choses de la France à cause de mon auto-confinement, j’ai comme l’impression que je suis toujours en France, heureusement que mes hôtes me rappellent à l’ordre tous les jours.

Je vais me faire de ce pas un café de midi sans purulence

Prends soin de toi
Lave toi les mains
Vivons

Et puis finalement  Fred est il en santé vivace ??
Il y a nos silences qui sont comme des liens vivants
Tu as remarqué qu’en anglais SILENT et LISTEN sont anagrammes ?

Allez, je te reviens ; Nous allons discuter de nos projets ensuite dans nos prochains mails.
J’en ai un gigantesque appelé «COMPOST» sur les anagrammes,

Merci pour ta patience dans l’absence de réaction
Grande bise saine

HOUNHOUÉNOU JOËL LOKOSSOU

INVENTEUR DE CHANCE

Saint-Michel l’Observatoire, le 28 mars, 14h47

Objet : Re : fulgurance Anne Lune

Oh Jojo, quel plaisir de te lire, une bouffée d’air pur loin des virus de tout poil, les petits les gros, les minus, peu ou prou spectaculaires… Un plongeon dans la langue que nous aimons à chérir tous les deux. Irrévérencieuse et tendre, suave et généreuse…

Avec cette liberté des facondes fécondes…

 Acte magique de sortir hors de soi tout en plongeant dans nos propres abysses, dans ce mouvement de ressac propre au vivant, vertige… Puis se laisser imprégner par le silence, enfin. Celui du dedans tout comme celui du dehors. Écoute… ce tic-tac de notre horloge intime.

 En ces temps tourmentés, l’écho du monde se fait puissant. Dans le chaos, il s’agit de rester debout. Et pour cela laisser place au possible et le nourrir de nos rêves.

Habiter le temps, comme à chaque fois dans l’éveil encore tous froissés d’un long sommeil. Ouvrir les yeux et exercer le regard, non seulement pour voir la chaussure à son pied, mais pour l’exercer plus loin encore à portée d’horizon. C’est pas si loin, dis ?    

 Toi là, moi ici, dans cette campagne de Provence que tu as déjà eu l’occasion de fouler avec nous. Car, lui aussi est là, dans la pièce d’à côté, puisque nous avons choisi d’un commun accord après mûres réflexions, de partager nos solitudes si habituellement chéries depuis bientôt 15 ans… La fusion méritant quelque principe de précaution… Le nous dans l’oscillation tumultueuse de nos existences, a tendance à confondre le ciel avec la terre. Les poètes sont des prophètes. Sempiternellement. 

 Créer oui, malgré tout, avec le monde en partage, si loin si proche, comme une peau âprement désirée et momentanément hors d’atteinte, avec, à la commissure des lèvres, l’empreinte du sel, la chaleur et le poids du corps tout à coup si léger qu’il en devient suspect. Nous demeurons seuls dans les draps froissés mâtinés de la nuit. Avec en appendice toute la promesse du jour.

 Envie de publier ton texte sur le site de l’Antre qui je l’espère aspire à poursuivre sa quête de trésors. Voire, si tu le veux, réaliser par tes soins une chronique régulière que nous retranscririons.

 Qu’en penses-tu ?

 Au plaisir de te vivre de là-bas…

 Prends soin de toi

 Anne

Cotonou, le 28 mars, 18h18

Objet : Re : re : fulgurance Anne Lune

Chère Anne,

J’épouse la musique de l’esprit en te lisant.
Mais quel oiseau te donne cette plume si légère et si aérienne?
Un oiseau d’une autre contrée d’air pur et d’aire non moins forestière. Il y a comme des gousses d’un parfum des temps à venir où l’essentiel sera dans la geste verbale.

Mais quelle chaleur ça dégage, une chaleur à brûler les peurs virulentes par ce temps de pangolin Chaos, j’ai mis les yeux à l’endroit et je me suis amusé à te lire. Dans une de nos langues à vivre du Bénin «s’amuser» veut dire «Épouse la musique de l’esprit».

Donc j’épouse la musique de l’esprit et le divorce n’est pas pour demain.

Je l’épouse dans cette lecture d’autant plus que le temps figé s’annule en dehors de la beauté poétique et là tu convoques les dieux à table et la table est garnie et j’aime ça !

Il n’est pas vain de souligner que le confinement est toujours là mais que je suis évidemment au-delà du réel confiné. Je panse les blessures issues de cette aubaine, de cette opération, de cet accident viral ! Il y a des accidents qui redressent les reins tordus, et j’espère que le pangolin en nous court-circuitant devrait nous permettre de retrouver une souple aisance. Mais sommes-nous prêts ?
Il n’est pas vain de souligner que le confinement me laisse pantois. Je pense encore plus l’ardent de la chose et je brûle de retrouver la ferveur du monde au temps des décomptes…

Il n’est pas vain de souligner qu’ici, dans ma ville de naissance, je prends la mesure de la peur sur les visages. Mais les gens ont plus peur du manque que de la présence. En regardant les visages, en voyant les mines, en discutant les paroles on arrive à cerner les causes profondes de cette peur ! Sommes nous prêts ?

Le pangolin a peur
Son virus a peur
Mais son virus est-il virus ?
Ne sommes nous pas nous les virus qui nomment virus ce qui n’est pas notre virus et qui est le virus issu de la vie ?

Les pays ne sont pas prêts simplement parce que les hôpitaux ne sont pas fortifiés et que le manque vient de la gloutonnerie. À force d’amasser dans le trop-plein, dans ce qui n’est pas la vie, dans ce qui n’entretient pas l’espoir, on finit par vouloir vivre sans le pangolin. Mais la question essentielle est de vivre a avec le pangolin.

Il n’est pas vain de souligner que vivre avec les virus est ce qui se nomme vivre et donc pour vivre avec les virus il faut juste déplacer les priorités. S’entrainer à planter les fondations solides des centres de recherches, rechercher l’harmonie avec la nature, travailler pour l’essence culturelle et culturelle… Mais je m’égare.

Je reviens à ton sublime message, avant de retourner à ma tentative d’épuisement de mon confinement.  Je suis bien ravi que vous vous mettez vos solitudes en double liqueurs : c’est ça une nouvelle qui ne m’épuise pas l’âme mais au contraire, elle me fouette le sang à la va joyeuse.

J’accepte une certaine intensité de laisser publier mon texte, mais je pourrais encore corriger les scories car j’ai conscience que les voyelles et les consonnes ne sont pas forcément à leurs places. Il faut que je revoie la conjugaison aussi, bref il faut corriger le monde des maux qui y sont.

Allons aussi pour la chronique régulière

Une chronique à croquer suivant quelle modalité ?

je souscris

Je sous écris aussi toutes ces vives à l’instant de ma joie de te lire

Vu que nous sommes compartimentés froissons nos retenues et restons en alerte du beau
Mais que raconter dans un confinement, je cherche

Toujours un clin d’œil à Fred
Toujours l’ami Philippe à ma main au creux de la sienne
Toujours Zéphyr se penche par le dedans pour attraper le dehors
Et toi Anne Anne
Voilà l’élan
Bonnes heures

Saint-Michel L’Observatoire, le 29 mars, 14h35

Re : Re : re re : fulgurance Anne Lune

Jojo,

“Voici donc quelques rires quelques vins quelques blondes…

J’ai plaisir à te dire que la nuit sera longue à devenir demain…”

 Je ne fais que plagier que ce soit le grand Jacques ou tes propres propos lorsque tu dis :

 « Je prends la mesure de la peur sur les visages. Mais les gens ont plus peur du manque que de la présence… ».  

 C’est peut-être l’une des leçons que nous aura apprise ce mal sourd tapis dans l’ombre : L’autre nous est absolument nécessaire. Il est respiration condition même de la vie. Souffle qui guide la poitrine et sur lequel nous nous appuyons pour l’espace d’un instant devenir plus amples avant de l’exhaler dans ce va-et-vient infime qui ponctue l’existence. Il circule dans nos veines, habite la pensée, s’insinue dans la vitalité de l’être. 

 Il s’agit de le faire perdurer quoi qu’il en coûte. De le faire advenir dans chaque interstice, au creux-même du possible. Et la ligne d’horizon tout intime que j’adresse à toi comme à d’autres, et qui m’a obstinément tenue debout malgré les embûches, ce sont les mots. Toujours. Au commencement était le verbe… nous dit le Livre. Quelle aventure… 

 Nommer c’est faire exister le monde et cela n’a rien à voir avec le discours qui n’est à mes yeux qu’illusion du partage. C’est l’en-deçà de la parole. 

 Un jour, avec Françoise nous avions découvert que le mot dialogue était étymologiquement habité par la sensation – j’emploie le mot à dessein, comme celui qui dessine, rires… – de “se laisser traverser par l’autre”… Quelle joie alors ! Nous nous voyions alors toutes parées d’une liberté nouvelle. 

 Lier l’autre à la traversée signifiait enfin à nos yeux, la promesse de l’infini. Traverser offre toujours la chance à l’horizon et sonne le glas du regret. Ce qui me renvoie au souffle à sa part de l’autre… 

 Il nous faut encore l’inventer cette part de l’autre, sans cesse remettre l’ouvrage sur ce tapis de mots que nous tentons de créer toi et moi dans cette épistolaire aventure, à l’orée du chapitre à écrire. D’autres trouveront peut-être à cet endroit un minuscule refuge le temps d’un souffle… qui sait ? Nous avons si peu à perdre.

 Explorons. Traversons. Où, quand, comment ? Juste ici et maintenant. Par nos présences conjuguées. Je n’ai aucune réponse aucune consolation, aucun miracle. Juste un geste. Un souffle.

 Anne

Cotonou, le 31 mars, 00h52

Objet : T’appréhender l’histoire, la confinée du beau mélomane

Chère Anne,

Aujourd’hui je suis sorti de mon auto-confinement.
Aujourd’hui je suis sorti de mon auto-confinement pour aller cueillir la température en ville. Il était hilare le soleil et ses rayons sans supports, car nos humains se faisaient rares, pourtant le confinement ici au Bénin est juste un confinement de zone. C’est-à-dire que nous pouvons circuler, nous pouvons errer et faire des courses et vivre dans notre ville. Il suffit de rester dans cette zone préétablie par le gouvernement. Il est vrai que confiner les gens au Bénin n’aura qu’un effet désastreux puisque le secteur informel formidable galop de vie est de loin celui qui soutient les familles. Nous sommes donc dans ce schéma et nos cinq cas officiels de coronavirus ne nous feront pas peur ? Hélas la peur est là, bien là. D’ailleurs le mot le plus usé sué et bêché en ce moment est  CORONAVIRUS. Il est partout. Dans la poussière ocre soulevée par nos pas, dans la mi-nuit de la nuit, dans la bouche de la vendeuse de fruits et légumes, dans le soupir des parents, dans les rires des enfants qui ne croient rien, qui ne regardent rien et qui comprennent tout Coronavirus, il me semble.

Aujourd’hui je suis sorti de mon auto-confinement et mon nez a gobé des effluves moins denses en pollutions et pourtant nous ne sommes pas dedans mais dehors ; mais le nombre réduit de déplacements par peur et aussi par crainte de se faire lourder par les forces de l’ordre poussent à rester dans sa zone. Et le firmament en profite pour nous proposer des airs baroques de senteurs de fleurs et d’autres. Et pourtant, Cotonou est une ville sans arbres… Oh ! Il y en a par-ci par-là, mais rien capable d’imposer feuillages et densités. De toutes les façons Cotonou est une ville sans rendez-vous. On s’y trouve au port ou à l’aéroport, au ministère ou à l’école, à l’hôpital ou chez le marchand, les marchands. Tous les marchands. Il n’y a pas d’identité ah ! Si quelques unes quand-même, c’est ma ville de naissance par exemple. Bref…

Aujourd’hui je suis sorti et j’ai failli dire «merci au coronavirus qui régule» mais j’ai pas osé dire merci. Par pudeur. Par peur aussi. Par peur de vouloir ce que je ne veux pas. Car ce que je veux au fond de moi c’est que la Chauve-souris (SOUCHE A VIRUS) rembobine sa vie parcellaire de virus et que le monde reprenne sa marche vers le gouffre. Le gouffre qui nous attend de toutes les façons. Ceci dit il y a des chemins de travers qui donnent espoirs !

Aujourd’hui je suis sorti de mon auto-confinement.

Par grande chaleur, j’ai changé de quartier. Je suis parti voir les miens dans la maison de mon père. Il n’y a fait pas de solitudes. Il n’y a jamais de solitudes. Dans un petit périmètre il y avait un de mes frères avec ses cinq enfants et d’autres qu’il garde en plus, une de mes sœurs avec sa fille, une autre plus âgée, une personne plus ou moins locataire, un autre frère absent, trois neveux, enfants d’une autre sœur, Martine, prématurément décédée il y a belle lurette… bref Il y a avait des absents heureusement quand je suis arrivé mais du beau monde quand même.

Bref, J’ai erré ensuite dans la ville à la recherche d’un point de vue mais les bars étant fermés, les restaurant régulés… Je me suis connecté à l’autre dont tu parlais si bien. L’autre ici à Cotonou ou à Lyon ou à Paris ou à Avignon.

Aujourd’hui je suis sorti de mon auto-confinement.
Mais je suis finalement rentré avant de tomber dans les bras nocturnes des heures fuyantes. J’ai juste eu le temps de constater que les bureaux de Air-France étaient fermés. Discussions promises par le téléphone. Promis demain je vais rappeler pour donner de l’air à mon billet d’avion. La France me verra. Oui le futur est doux à humer… j’en saurais plus demain.

J’ai eu des nouvelles de la France,
La guéguerre des collégiens contre autour du professeur Raoult qui donne des sueurs froides aux lobbies et ces derniers envoient les chiens de garde aboyer vertement sur les plateaux sauvages de la République…L’incontournable Facebook m’a permis d’observer la gueule ouverte de Daniel Cohn Bendit (CHIEN BONDIT D’ELAN) avec son argument massif « qu’il ferme sa gueule » en parlant du prof Raoult… je suis pas resté longtemps, par ces temps de contamination, un pangolin peut en cacher un autre.

Et pour ponctuer cette nuit de Cotonou je reprends ton extrait de Brel en anagramme.

O ! QUI ON RÊVE !
L’AQUARELLE, ESQUISSE  D’ARC-EN CIEL
L’AQUARELLE BRIS DU JARDIN,
TA  VIE QUIGNON QUESTIONNE DES VIES IMPUDIQUES

Bonne nuit

Joël

De : Anne Vuagnoux
mer. 1 avr. 2020 à 13:16
Re:  T’appréhender l’histoire, la confinée du beau mélomane
à: Hounhouénou LOKOSSOU

Jojo ô Jojo,

C’est à cet endroit – là où nous sommes physiquement et dans cet interstice de la parole – qui viennent s’agréger à d’autres mots échangés ça et là, de part et d’autre, que l’esquisse d’un monde à réinventer se dessine.

Confinement… “Fait d’être retiré; action d’enfermer, fait d’être enfermé (dans des limites étroites)”, me dit le dictionnaire. Les pensées se bousculent. Tentative de déjouer le sort d’un monde soudainement atrophié, en manque d’oxygène. Et pourtant. De ma fenêtre, la même brise déploie la branche de l’arbre vers l’inconnu depuis la racine.

Une succession d’images reviennent alors me hanter. Celles de l’écrivain et du scientifique accompagnés du Stalker* au sein de cette zone dont personne ne connait la nature, repoussoir pour les hommes mais au sein de laquelle, existe une chambre en forme de promesse : au creux de l’abîme se trouve cet espace où tous les souhaits peuvent être réalisés. Commence alors le voyage et les dangers qui l’accompagnent. Et cette scène précise, où le Stalker*, garant du périple et des vivants, les mets alors en garde. Le territoire existe bien au-delà des apparences. Ses chemins sont étroits, s’en écarter, ne serait-ce que d’un pas, peut s’avérer fatal… Voie étroite de nos vie confinées, où les ondes en boucle n’égrènent que des limites toutes saupoudrées de nos peurs ancestrales, relayées par les marchands du temple et leurs cortèges d’anagrammes. À travers le dédale, le poète connait l’espace de la ligne, étroite elle aussi, sertie des mots assemblés un à un, son sens, sa boussole, comme une consolation. Ce n’est pas la peur cependant qui le guide, mais son besoin de justesse. Sa raison d’être même. Ce dans l’adresse, tendant les bras vers l’autre.

En ce qui me concerne, j’apprends l’humilité des heures. Je tente d’être à l’écoute du moindre bruissement intime. Parfois, la tempête me traverse. Je la laisse accomplir son ouvrage. Je suis au monde, infime parcelle de vivant, c’est dérisoire mais ça me rassure. Je tente de prendre mes aises dans l’instant, chassant d’un revers de mots, toute forme de projection – compliqué pour une amoureuse d’images – quant au futur. Vastes les possible, étroite la voie… Je conjure l’imagination du pire pourtant fertile en ces moments de trouble. La lumière naît de l’ombre, j’y attache mes pas avec la maladresse d’un funambule qui serait consumé du vertige en haut du mât. Encore. D’où cette nécessité de l’humilité. Encore. Toujours. Nous ne sommes pas grand-chose dans le tumulte et pourtant, ô mystère, nous en sommes les atomes reliés dans cette indicible chaîne qui n’a ni queue ni tête, ni commencement ni fin.

Frissons et la peau se réveille toute étonnée du charivari qui la dépasse. Qui la transcende, bien obligés que nous sommes de l’envisager encore, nous tous que voilà séparés. Gouterai-je à nouveau aux baisers de ma mère, moi d’habitude si prompte à m’en méfier de peur qu’elle ne m’absorbe toute entière ? Le manque s’insinue dans les veines. La voix remplace maladroitement le geste, comme l’aumône d’une réponse.

En cet instant, je me retourne vers toi, vers d’autres, vers nous et tous nos miroirs en partage.

Anne

* Stalker, Andrei Tarkovski, 1979

Cotonou, le 1er avril, 22h46

Objet : Demain au présent

Bonsoir Anne,

Merci pour ce vol à l’intérieur de tes confins.

À Cotonou, le confinement étant jugé impossible sinon intenable, nous naviguons vers ce que j’avais déjà nommé zonage de confinement ou cordon sanitaire pour limiter les déplacements. Les populations observent cependant une grande discipline causée par la peur. Il y a donc moins de monde en ville et la ville s’opère un changement d’air.

Toutes les aires sont saturées du mot coronavirus. À la radio, à la télé, dans les maisons. Les prières abondent de partout, les chrétiens avec leurs chrétiennes et les musulmans avec leurs musulmanes. Il y a les adeptes du Vodoun et quelques rares athée et athées. Les mêmes soupirs accompagnent les prières différentes.

Mais, rassure toi, la rationalité est aussi présente avec les médecines occidentales et africaines. Nous sommes aujourd’hui à treize cas de coronavirus. Et comme dans un film d’horreur au suspens confiné quelque part en nous, la tension monte monte et les regards obliquent vers les torves yeux. L’appréhension d’un débordement de choses morbides est là mais pour l’instant les dieux ne sont pas tombés sur la tête. Il n’y a pas de morts… Mais en attendant de vaincre le coronavirus et ses piques, nous devons venir à bout de la vie au quotidien, la vie qui est prise aux pièges divers de la cupidité des marchands et des marchandes.

Les vivres coûtent ainsi le double voire le triple de leurs prix habituels. Nous en sommes qu’au début et la fin de la faim à venir n’est pas pour demain. C’est aussi le capitalisme à échelle artisanale. Mais le capitalisme va engloutir le monde. Il me vient des fois l’envie d’appeler les gouffres pour ensevelir cette envie de penser le monde pour mouler un nouveau moule capable de nous donner un autre monde possible. Pendant ce temps, la ville de Cotonou tourne le dos à la mer et regarde la mer, quelle contorsion. Tiens, il faut que j’aille à la mer ou à la plage dans les jours à venir. Mais avec qui ? Les gens sont de plus en plus frileux d’approcher nous autres malgré le temps de confinement de deux semaines absorbé déjà. On vient de l’Europe. De la France. D’un pays un fait était. D’une nation infectée.

Pendant ce temps, je bouge très peu. Pendant ce temps je suis quand-même partir faire un tour encore dans la maison de mon père, faire un tour voir une amie et enfin finir dans un bureau d’un délégué médical (grand ami devant l’éternel). Comme une peur des cieux ensoleillés la chaleur a perdu du terrain et il faisait même bon. 

Pendant ce temps la rumeur monte sur Facebook que le ministre des affaires étrangères français JAVELINE D’ARYENS a dit ceci ”Macron pense à un plan (pour l’Afrique), il faut beaucoup d’argent, il faut leur apprendre à se laver les mains, à utiliser du savon…”. Et mon ami Facebook togolais s’est fendu d’un commentaire lapidaire “ici en Afrique nous mangeons avec la main depuis notre enfance et nos filles savent laver leurs slips avec leurs mains depuis le bas âge.” Ambiances ! J’ai pas encore vérifié cette sortie française, si tu peux me vérifier cette sorte d’abrutissement du langage ça me ferait plaisir.  J’espère que demain il fera beau sur les grands chemins et que nous irons planter des banderilles d’espoirs dans les sauvages prairies…

Je rêve à un demain un peu plus que demain immédiat et moi qui suis du présent je me laisse happer par le futur. J’ai encore des sons à te dire mais la chaleur qui monte m’incite à aller à remettre la douche au centre des minutes . Une chaleur poisseuse, celle du soir. Au fait, ta définition du “confinement” me laisse pantois car j’avais cru voir que c’est un thème appliqué aux animaux. Mais tu me diras que nous sommes des animaux à supériorité variable comme je l’avais déjà noté dans mon précédent message. Et puis

A deux mains, nous allons relire le monde autrement

Joël

Saint-Michel l’Observatoire, le 2 avril, 17h57

Objet : Re : Demain au présent

Bien le bonjour mon cher Jojo

 Je ne sais pas si c’est le confinement qui me monte moi aussi à la tête, mais il m’arrive bien souvent de te retrouver au cours de la journée au détour d’un mot, d’une phrase qui se fraye un chemin et aspire au jour. Puis à l’heure de nos retrouvailles épistolaires, les voilà envolées ou tapies je ne sais sur quels chemins vernaculaires.

Alors.

Faire le vide, la parole tout comme la musique naît du silence comme tu le mentionnes si bien à coup d’anagrammes. Nos existences en temps normal sont si souvent saturées. Loin le temps où toi et moi, pourtant géographiquement proches, vaquions à nos ritournelles respectives… à nos œillères. Même côte à côte, résurgente la frontière.

Accepter le silence dans ce qui possède de plus fondamental, souscrire à endosser jusqu’à ses habits de fête. Lever les yeux et ouvrir les mains. Se laisser envahir par le vide, y poser sa joue et moquer, enfin, la peur. Au moins un peu, c’est déjà ça. J’ai toujours l’impression d’apprendre à marcher avec un étonnement souvent renouvelé de l’équilibre entre l’attraction terrestre et l’insouciante légèreté de l’air.

Reconnaissante aussi et étonnée de découvrir le chemin qui me guide, qui “accoladent” mes pas à d’autres, improbables souvent, – qui sait jusqu’à y trébucher parfois. Qu’importe… ou pas. Je prends mon temps et pousse la transgression jusqu’à le perdre. J’évacue ma culpabilité toute occidentale, et la remet à de futiles procrastinations. Egaré le temps, l’est-il vraiment ? Y aurait-il une pesanteur du temps, perdue quelque part, attendant son heure de gloire ?

Pourtant, dans cette litanie confinée qui égrène ici tour à tour les jours et les morts, où la chaleur du regard est entrée en automne, je me paye le luxe de mots inconnus de la loi du marché, je lui préfère celui du nomade qui n’a cure de compter ses pas. Ce, dans l’espace d’un voyage intérieur, croyant au mystère des rencontres. Évidemment, rien ne remplace la tiédeur de la peau, les cheveux qu’on ébouriffent – pour l’instant il faut s’en remettre au vent – et la main sur laquelle on s’appuie. Altérer cette sensation-là fait partie de mes peurs sans concession possibles.

Tu le sais, nos temps confinés seront synonymes de ruptures. Lesquelles ? Eros et Thanatos, frères ennemis, n’ont pas fini de se livrer bataille. Pourront-ils inventer une trêve comme deux faces d’une singulière pièce ? Rien n’est moins sûr. Alors puisons dans nos ressources conjuguées. Il est est urgent d’ébaucher demain au présent, d’agrandir les fenêtres et de faire place à l’improbable. Travaillons toi, moi, tous ensemble humblement à inventer le mieux faute de meilleur. Assez d’espaces amputés, de comptes d’apothicaire, de mots muselés à coups de peur.

Ouvrir les mains. Enfin.

Et les serrer les unes contre les autres, dès que faire se peut… Là oui ici.

Anne

Cotonou, vendredi 3 avril, 00h50

Objet : Re : re : demain au présent

Bonsoir Anne,

Le soir est tombé encore sur nos illusions ici.

Le soir semblable aux autres soirs en espérance.

Le soir avec ses fausses, vraies nouvelles de comptage de cas cliniques.

Nous restons donc officiellement à 13 cas de coronavirus et je vais parler d’autre chose.

Mais de quoi ?

Les déplacements étant drastiquement réduits, il m’est difficile d’aller comme bon me semble. Une souplesse existe mais les amis rechignent à revoir d’autres gens. Les denrées flambent et tout s’envole. Le silence vacille sur ses fondements. Les marchés offrent et demandent, demandent et offrent et toujours à la bourse pantelante. J’ai bien sûr des échos qui me viennent de tant d’idioties. Dans ce schéma dément, je m’accroche aux informes du marché. Les lettres d’antan, les poèmes de la vie quotidienne. Le café qui vient de terminer et le nouveau acheté au supermarché Erevan. Le goût est un peu altéré.

Je suis rentré dans un autre espace silence et immobilité, une sacrée immobilité faite de plus d’un mouvement. Le va-et-vient de l’intérieur vague sur vague et je pense aux flux tendus. Aujourd’hui, j’ai osé un menu déplacement chez une amie qui rechigne à voir du monde, j’y ai passé un moment puis un autre ami est venu me ramener à la maison. Le reste des heures vagues gelées de rêveries. Mes rêveries d’antan, lorsque le café attend d’être bu au Zéphyr des bonds du félin domestique. Chez toi, rue Mijeanne. L’esprit voyage et le manque de mes lectures à haute voix pour tes oreilles attentives de ton âme est très présent. Demain je vais ré-attaquer «L’État de siège» de Camus. L’esprit voyage et je me rends de plus en plus compte de l’essentiel. Si la courbe des contaminés finit par décroitre, nous pouvons tirer des enseignements de cette pandémie .

Je vois que tu inventes des lignes poétiques pour l’association L’Antre Lieux. C’est une lumière qui demeure. Merci pour ton énergie à construire l’évanescence des jours sur cette motte poétique et vivante. Nous y sommes dans l’antre-lieux.

Ce soir avec mon hôte béninois, nous avons osé une grande discussion sur la pertinence des nouvelles des télévisions, il n’arrive pas à intégrer que les informations à la télé sont tronquées, biaisées, toilettées. Je cherche à lui faire prendre conscience de la supercherie fardée des hommes plateaux et des femmes bien évidemment. C’est une chose difficile à comprendre. Pour lui. Mais nous allons continuer à explorer les méandres de cette chose.

Nous sommes à la naissance de quelque chose

Nous sommes en attente de quelque chose

Merci pour ce fil tendu entre nos mondes pour dire le rien

Je pense bien aux hommes de ton entourage.

Tiens je ne connais pas du tout de femmes de ton entourage

A suivre

Bonne nuit

Hounhouénou Joël Lokossou

Saint-Michel l’Observatoire, vendredi 3 avril, 13h39

Objet : Re : re : re : Demain au présent

 Jojo,  

C’est un soleil frondeur qui accueille tes mots jetés à nos vents respectifs ce matin. La nature n’a que faire de l’agitation stérile des hommes, toute occupée qu’elle est, à inventer le printemps. Pendant que nous nous confinons, elle nous fait la nique dans un grand éclat de rire et c’est doux…  Elle nous préexiste, nous ne sommes qu’un agrégat qui l’encombre souvent.

Je pense mon arrière grand-père, homme (encore ! rires) de la fin du XIXème, vacher de son état, figure incontournable de mon Panthéon intime, qui a su m’accueillir enfant. Lui qui a traversé la grippe dite espagnole, venue lui rendre personnellement visite, tout comme la grande Guerre venue frapper à sa porte – la Vraie avec ses champs de bataille perceptibles à fleur de narines, ses tranchées retranchées, et la vue du visage de ses camarades déchiquetés par les bombes, la puanteur moutarde exhalée…  C’était un survivant que le hasard a choisi à la roulette russe et assigné à la vie. Puis la rencontre avec mon arrière-grand-mère en embuscade lorsque venu se rétablir du virus, il l’a choisie, elle, mon ancêtre. 

Je dois alors, quelque part, dans les fantaisies du temps moqueur, la vie à la mort, et cette pensée me rassure. Miracle des coïncidences. Le testament m’oblige. J’ai ainsi appris à marcher dans ses pas, derrière son éternelle brouette juste à l’orée de son silence d’homme inscrit dans la terre, celle que j’arpente toujours aujourd’hui. Celle qui me contient et qui m’agrège à d’autres, vivants et morts. Aux histoires. La poésie débute à cet endroit. Habiter les morts participe à nous relier au vivant. La mémoire demeure une lucarne vivace, il s’agit de la conjuguer au présent. Le souffle de mon aïeul me parcourt à l’instant où je t’adresse ces mots. Et si j’accomplis jusqu’au bout cet acte de foi, avec toute la tendresse dont je peux être capable, son souffle à lui finit par t’atteindre toi. Ça aussi c’est doux cette communion-là. Une consolation.

Après les hommes, oui les femmes, primordiales qui traversent ma vie. Tu en connais quelques-unes en faisant un effort. Ma mère, elle, a fait ta connaissance récemment. Lors de nos appels devenus quotidiens, j’ai fait le pari de lui lire chaque soir un poème, ou quelques extraits de nos échanges. Alors que je déchiffrais l’une de tes réponses, en éminente spécialiste de la chose, elle m’a murmuré dans un souffle à ton endroit  “Il possède une belle âme…”. Elle que la nuit insinue peu à peu, – ma mère devient aveugle -, s’entraine jour après jour à faire croître ce regard tout autre, qui tend à déchiffrer l’invisible et je l’aime pour ça. Nous nous donnons ainsi la main, sans véritable repère entre celle qui s’appuie sur l’autre et celle qui guide. Une bien jolie farandole… J’admire sa part d’enfance, liée à la confiance. Un grand éclat de rire déchirant le voile de nos nuits confinées. Celui qui t’habite aussi et que nous partageons avec d’autres. Il échappe au pouvoir.

Et puis il y a l’Antre oui. Avec la promesse de l’homonyme du E dans l’A et la chance des hétéronymes offerte par la poésie des rencontres. La joie et le vertige de l’inconnu qui s’invite, tout cela issu d’un magma improbable. Cahin-caha. Cette infinité de combinaisons jubilatoires offertes comme ce que nous esquissons ici.

De part et d’autre. Entre ombre et lumière, au creux de nos nuits.

Merci…

Je reviens à la ligne… Vers toi.

Anne

Cotonou, samedi 4 avril, 2h57

Objet : Re : re : re : re : Demain au présent

le Bonsoir, très chère, cher toi,

Dans le tard de cette nuit, je relis avec joie ton message. Très touché par les mots empiriques, je pense de la mère tienne. C’est vrai que j’essaie de tendre vers une belle âme, celle qui installe l’essentiel au coeur de la vie. Mais je ne sais jamais si j’y parviens un moment ou pas, ce qui est finalement naturel car on ne peut pas être à sa fenêtre et se voir passer dans la rue. Je suis d’autant plus touché que la parole des mères a une importance capitale dans mon pays. Voilà ! Une dose émotionnelle vive. C’est comme une douche reçue d’une barbacane qui laisse passer des lueurs de vie. 

Cette douche qui parachève une belle journée de farniente, balade et deux visites capitales. Une à ma sœur aînée  l’aînée suprême, Félicienne Lokossou, d’une douceur aux flaveurs paradisiaques et une autre à une stéphanoise mariée à un Haïtien qui est la représentante du Fonds des Nations Unies pour la population. Visite de courtoisie. Tentation d’échapper au monde sans s’écharper. Nous sommes arrivés à 13 cas ou 16 cas selon le versant ou autre point de vue. Le souffle rode dans la ville, la circulation aérée. J’ai bien apprécié de circuler aujourd’hui mais la tension augmente.

J’ai toujours pas lu “L’État de siège” de Camus, quelle vie ! En revanche je viens de donner deux livres aux employés de la maison où je vis. Un livre témoignage sur une affaire de mœurs et un recueil de Le Clézio “Mondo et autres histoires “. Je vais suivre la lecture avec eux. Ceci s’annonce laborieux. Dans ce temps figé, je ne ressens vraiment que le manque des amis, les amis laissés dans le confinement en France, les plus nombreux et les quelques-uns qui me restent ici au Bénin. Je pense aussi aux amies. Par ces temps, vaut mieux assurer ses inclusions.

Tout le bain du soleil de ce jour me reste dans les yeux avec la présence laiteuse des visages aimés. Des figures aimées, inclusion par derrière la vision.  Comment vaincre la peur ? Par l’amour et l’éducation.

Je ne sais si tu es au courant de l’affaire du vaccin en préparation qu’un médecin de l’hôpital Cochin à Paris essaie de faire expérimenter en Afrique. Demain je vais t’envoyer la vidéo intégrale de la partie de l’émission où cette malheureuse sortie a été constatée. J’ai reçu dans pétitions, des articles, des plaintes. La proposition est terrible.

Revenons à nos cas, nous sommes de plus en plus nombreux à prendre la mesure du chaos à éviter, des spots publicitaires s’imposent et sensibilisent sur le port des masques :

Je porte un masque

JUSQUE A PRÊTE NOM

PUR, JE MOQUE SANTÉ

 MOQUER JUPE  SANTÉ

C’est le credo qui monte, enfle et sans confinement au sens français. Parallèlement, il y a des tests qui se préparent par le sang directement pour voir, apparemment il existe une technique que les bretons expérimentent déjà… Mon message de ce soir entre somnolence et indolence doit certainement abriter des microbes de fautes. J’espère que le naturel reviendra toiletter tout ça !

Bonne nuit

NON BUTINE

Saint-Michel l’Observatoire, samedi 4 avril, 13h39

Objet : Pause

Coucou Jojo…

Je ne t’envoie pas de chronique aujourd’hui et cela n’a rien à voir avec le plaisir que je peux prendre à nos échanges qui me font grand bien. Mais après quelques tentatives pas franchement réussies, je sens qu’aujourd’hui la plume a besoin de silence. Elle se soigne… Ceci dit, n’hésite pas à m’envoyer quelque chose si tu en as l’envie. Aucune obligation, seul prime le plaisir… Et j’en éprouve beaucoup à te lire…

Quoi qu’il en soit, à très vite… Promis

Prends soin de toi…

Tendresse

Anne

Cotonou, le dimanche 5 avril, 3h26

Objet : Re :pause

Chère Anne,

Mais la chronique tient bien dans ton précieux court message ! Je proposerais de garder ce message dans le cœur de nos échanges, il est ponctuation. Il fait partie de la chronique. A mon avis une chronique épistolaire faite d’échanges journaliers peut arriver à inventer un trou d’air dû à la vie.  La vie qui est toujours scandée en ce moment par le comptage des cas du coronavirus. Nous sommes en sommes à seize et l’angoisse létale s’étale dans nos pantelantes courses à la vie. Je commence à me trouver un rythme de pensées dans cette situation. Je pense le « je suis » du moment. 

Côté météo, la pluie s’en mêle nuitamment. La première depuis mon retour, une pluie survenue dans la nuit d’hier. Tiens ! Aujourd’hui j’ai reçu un mail avec comme objet « échange de poèmes », l’expéditeur est un certain monsieur vivant à Avignon. Il m’avait vu jouer et depuis il m’envoie des zestes de vies ! J’avais fait une lecture de la pièce « Un homme mort » dans sa maison. C’est rigolo son message « échange de poèmes » . Il dit ceci :

« Bienvenue dans un échange collectif, constructif et, espérons-le, édifiant ! Il s’agit d’un échange unique et nous espérons que vous y participerez. Nous avons choisi des personnes qui, selon nous, seraient disposées à participer et à rendre l’échange inspirant.
Veuillez envoyer un poème à la personne dont le nom est en position 1 ci-dessous (même si vous ne la connaissez pas), avec pour objet de courriel “Échange de poèmes”. Il doit s’agir d’un texte/vers/méditation qui vous a touché(e) dans des moments difficiles. Ou non. Ne vous prenez pas la tête ! Si vous souhaitez envoyer un poème dans une autre langue et en fournir une traduction, faites-le !
Après avoir envoyé le court poème/vers/citation/etc. à la personne en position 1, et seulement à cette personne, copiez cette lettre dans un nouveau courriel. Déplacez mon adresse courriel à la position 1, et mettez la vôtre à la position 2. Seuls mon adresse courriel et la vôtre devraient apparaître dans le nouveau message. Envoyez-le à environ 20 amis en CCI (copie invisible). Il est rare que quelqu’un abandonne, car nous avons tous besoin de nouveaux plaisirs. Le délai est rapide, car il n’y a que deux noms sur la liste, et vous n’avez à le faire qu’une seule fois. C’est juste pour faire circuler de la poésie, et donc du plaisir ! ».

Voilà ! Je ne sais pas pourquoi je te le transfère de cette façon, mais le cœur m’y donne l’autorisation. Je vais y participer. Et peut-être que tu vas retrouver un autre mail avec cet échange poétique. Par ces temps d’apocalypse tout ce qui vient tisser des liens de paroles, de sens et sans l’offre et la demande m’est indispensable. J’y étais déjà sensible comme tu le sais bien mais cette sensibilité s’enfle de plus en plus. La crise sanitaire actuelle nous démontre encore avec acuité la nécessaire révolution individuelle pour aller vers plus de sens.

Bonne nuit du bon matin

Saint Michel l’Observatoire, le dimanche 5 avril, 15 heures 22

Objet : re : re : re : pause

Jojo,

Oui tu as bien raison. Le silence ou presque est aussi une forme de réponse… Nous allons donc la publier telle qu’elle. 

Pas envie de faire semblant. De discourir lorsque je sens confusément qu’il faut faire rupture avec nos schémas anciens. Remplir pour répondre à l’injonction de la machine. Produire pour produire avec tout cela peut avoir de rassurant. Où suis-je au monde ? À quoi ressemble véritablement le don, le partage ? On parle de rompre mais avec quoi avec quelle part de nous-même qui imperceptiblement fait que chacun participe au tumulte ? 

Je n’ai aucune réponse quant au devenir de tout cela aucune leçon aucun secours. Je m’exerce juste à retransmettre ma marmite intérieure. Je balbutie les mots et les malmène à la manière de l’enfant. Et nos miroirs nous aident. Les traverserons-nous l’espace d’une rencontre ?

Je m’en remets à toi…

Anne

Cotonou, lundi 6 avril, 9 heures 12

Objet : Re : re : re : pause

Bonjour Anne,

Hier, la fatigue m’a imposé sa camisole de force j’ai été saboteur d’une nuit active. Il n’y avait qu’une solution : rejoindre l’horizontal sans passer par la table à écrire. En plus j’étais dans l’appréhension d’une coupure de courant, d’un délestage comme avant-hier. Le challenge étant de dormir avant un éventuel délestage. Bref ! Dimanche a vécu sans et lundi naît avec ce message.

Dimanche a vécu en nous ramenant à vingt-deux cas de Coronavirus dont cinq sont sortis d’affaire. Tout le Bénin est tendu vers ce monde de virus pour savoir comment échapper. Entre médecine traditionnelle et prières d’hébétudes, les gens donnent de la tête dans un tohu-bohu tropical ! Entre attentisme et contorsions diverses les gens donnent dans les palpitations. Il y a des chansons inventées pour faire passer le message des gestes barrières, les réseaux sociaux sont obèses de toutes les informations immédiates et impossibles. Mais une certitude se dégage,  nous allons de plus en plus vers le tout au masque c’est mieux que le tout à l’égout. On trouve de tout au Bénin même du bon sens. Et le bon sens nous amène doucement vers les restrictions de déplacement masqués.

Mais tu t’en remets à moi ! 

Je m’en remets à toi 

Et si c’était là la classe des solutions ?

S’en remettre aux gens c’est déjà rompre, non?

Rompre avec ce qu’on était politiquement. Le monde est une anecdote trompeuse d’uvules qui refuse de revenir sur ses pas. Le monde fait des pas en avant, en ligne droite et le gouffre est devant à un mètre. Il faut rompre avec ce qui était. La décroissance intelligente, j’y crois ! La chroniqueuse lumière de Bruno Latour m’a beaucoup plu. Tu as lu ? Sinon je te l’envoie ?

Je quitte les plumes arts du lit pour mes ambitions d’ablutions quotidiennes. Je m’en remets à toi pour revenir encore plus frais.

J’ai lu quelque part le doux mot de Stéphane…  c’est la vive lueur des surprises… Saveurs et Flaveurs…

Je ne sais quelle courbe donner à ce lundi. Mais les journées ont leurs desseins inscrits dans la course des aiguilles !

Je nous embrasse

Bonne journée

Hounhouénou Joël Lokossou

Saint Michel l’Observatoire, lundi 6 avril, 23 heures 39

Objet : Il est temps d’allumer les étoiles

Eh bonsoir cher Ami…

Pardon pour les mots qui tardent à venir. Aujourd’hui fut un jour de retour vers la matérialité des choses et des ventres… Je t’épargnerai l’adage qui veut que vivre d’amour et d’eau fraîche – quel raccourci ! – ne dure qu’un temps. Voilà une quinzaine de jours que je n’avais pas pris la mesure et la démesure de cet espace dit public communément tranquille ici excepté lors des saisons de migration. Le bitume avait quitté mes pas sans grande nostalgie.

Alors que je cheminais d’un port à l’autre, j’ai croisé alors un visage familier. Échanges de regards et de reconnaissance, je m’apprêtais à aller à elle tout naturellement l’espace d’une seconde. L’élan s’est alors suspendu tout comme le temps. Impossibilité de l’étreinte même fugitive. Effacée, la gratuité du geste, banni l’élan. En quelques heures seulement l’autre s’est transformé en menace. La stupeur me gagne. Tomber de rideau. Comment a-t-on bien pu en arriver là ? Comment l’amie d’hier, le camarade, la collègue, le frère, peut-il bien se révéler désormais enjeu de défiance ?

Je fais partie de ce temps que les médias d’alors appelait “la génération Sida”. Alors que nous brouillonnions nos premières œillades, nos ardeurs sont allées s’échouer dans les douves de la Realpolitik. Nous avions déjà été insidieusement avisés, à force de slogans au garde à vous et autres sourdes injonctions, que l’autre et le sel de sa peau pouvait nous recouvrir d’un linceul… “Sortez couverts”… Depuis l’aube des temps où les hommes se racontent, on peut mourir d’aimer et on accepte le jeu et le risque parce que vivre sans aimer nous condamne à l’enfer d’ici et maintenant. Dans quelle fissure se cache aujourd’hui le châtiment si tout cela perdure ?

Je ne peux me résoudre à transmettre cette équation impossible qui consiste à vivre dans le retranchement, la soustraction, la division. J’en mourrai bien avant, c’est certain. On a beau se convaincre à coups de métonymies que séparer c’est protéger, au fond, à part quelques fous, – le propre de la folie ne repose-t-il pas dans la solitude la plus fondamentale, celle de l’indicible, du non partageable ? –  nous ne sommes pas dupes, si ? Nos écrans demeurent bien trop étroits pour notre désir de l’autre, pour l’espace offert par le grain de sa peau. Il forme nos sabliers repères.

Une épidémie chasse l’autre. Quelques marchands d’une saison voudront à coup sûr troquer le cholera corona contre la peste brune. Avec l’arrogance des sots et la protection en bandoulière. Nous allumerons plus hauts les feux de la Saint-Jean dans une danse frénétique, solaire.

Il est temps d’allumer les étoiles, Jojo, il est temps d’allumer les étoiles…

Anne

Cotonou, le mardi 7 avril, 9h02

Objet : Re : il est temps d’allumer les étoiles

Bonne nuit

BUTIN NONE

Il est temps d’allumer les étoiles, Jojo, il est temps d’allumer les étoiles…

LE TOTEM 

TEL SLAM SIMPLE POSSÈDE
TELLE  LUMIÈRE D’ÉTALS

TELS JOLIS JOURS

Je me suis fendu de cette anagramme à partir de ton injonction formidable et bondissante.

Il est temps d’allumer les étoiles, Jojo, il est temps d’allumer les étoiles. 

Il erre tant en moi ses zestes de toi que mon anagramme fulgurance presque, avec un bout de travail en plus, est né…

Ici dans une nuit espiègle hébétude de Cotonou j’attends la lumière d’étals. D’autant plus que l’amoncellement des cas du coronavirus n’augure rien de bon. Nous sommes à vingt-deux personnes, dont une décédée. Premier vrai choc. La naissance du flux que l’on espère vite détendu. Les mesures sont à bras ballants sans contenance et nous payons un surplus d’inconscience. Ce que tu dis si bien rejoint une incongruité du Bénin dont nous avons parlé hier et aujourd’hui. En général, les gens ici vivent leurs vies envers et avec les éléments et mêmes quand ils vont mal et qu’on les amène à l’hôpital sur le chemin,  leurs parents prient pour qu’on ne diagnostique rien, alors que la logique voudrait qu’on prie pour vite diagnostiquer, on cherche à comprendre. Ils acceptent le jeu et le risque jusqu’à la saltation. Mais je m’égare. Je m’égare dans ce monde.  

Soudain je me réveille. 

Le sommeil est une puissance 

Il m’a ravi à moi-même

Il m’a rendu dans des coloris d’ombres

Je reviens d’un cortège de ballet où les formes rêvées se décomposaient au fur et à mesure. Me revoici frottant mes yeux me demandant ce qui s’est passé.

Ce  message a traversé un trou de sommeil abyssal. Je viens de me réveiller le Smartphone sur le lit et moi ébahi ! Dormir subitement… rêver mélange… et le fait du jour te réveille pour recevoir les faits ! Voilà un message échelonné sur deux dates. Bref je disais et je prenais acte de mon égarement dans ce monde.

Le monde est une anecdote trompeuse d’ovules… et dans mon égarement, j’ai saisi au vol, qu’il faut savoir être à soi. C’est Montaigne qui écrivait cette montagne de phrase ” la plus grande chose au monde, c’est de savoir être à soi “. Je te cite en intégralité ce chapitre…

Montaigne livre I, chapitre 38 :

“Il se faut réserver une arrière-boutique, toute nôtre, toute franche, en laquelle nous établissions notre vraie liberté et principale retraite et solitude. En celle-ci faut-il prendre notre ordinaire entretien, de nous à nous-mêmes, et si privé, que nulle accointance ou communication de chose étrangère y trouve place. (…) Nous avons une âme contournable en soi-même ; elle se peut faire compagnie, elle a de quoi assaillir et de quoi défendre, de quoi recevoir, et de quoi donner : ne craignons pas, en cette solitude, nous croupir d’oisiveté ennuyeuse,

In solis sis tibi turba locis. (Dans ta solitude, sois pour toi-même une foule)

La vertu se contente de soi : sans discipline, sans paroles, sans effets,  sans règles, sans actions”. (…)

La plus grande chose au monde, c’est de savoir être à soi.”

Le monde est une anecdote trompeuse d’uvules… Mais il y a eu Montaigne… Il y a eu Hampathé Ba…

Il y a l’espoir de multiplier les îlots où le consumérisme volerait moins d’âmes. Où l’or et l’argent… les clinquants et les sonnants feraient moins trébucher…

Je suis encore couché dans mon lit écrivant cela ! 

Je suis encore dans mon lit et l’envie de reprendre les arpents de route et de toujours partie prenante aux mouvements. L’immobilité actuelle va, me pèse, me camisole…

Chaque jour nous attendons des nouvelles de l’avancée de cette pandémie…

Ce jour nous l’attendons… mais quelque chose me dit que mon petit chose d’espoir l’emporterait.

Voilà où j’en suis dans ce tohu-bohu de pensées consignes confuses …

J’espère que ce mal épargne Avignon ? 

J’espère que le nombre de cas à Avignon est resté en-deçà de la moyenne nationale ?

À tout à l’heure

Bonnes heures 

Hounhouénou

Saint Michel l’Observatoire, mardi 7 avril 14h26

Objet : Re : re : Il est temps d’allumer les étoiles

Bonjour Toi Ami du matin,

Il est difficile d’habiter la confiance lorsque nos peu de certitudes vacillent dans le tohu-bohu des jours confinés. Montaigne oui Montaigne tout comme bien des poètes, guide nos pas. Autant de chandelles dans les ténèbres traversées… “Ne te retourne pas, ne te retourne pas” ou alors Euridyce sera condamnée à demeurer au tréfonds des enfers.

Ne te retourne pas. Invente, crée, respire, n’aie pas peur, découvre la lumière même si elle t’aveugle parfois empare-toi du présent, habille-toi du moindre de tes rêves et écoute. Le défilé des jours à des choses à nommer, des secrets à révéler, des évidences à t’apprendre. Il distille la patience alliée à la persévérance, le temps qu’il faut aux choses pour croître et enfin advenir, la bienveillance des lampadaires, l’insolence du vol de l’oiseau, le mécanisme du temps. Sa précision horlogère.

Les étoiles justement expriment bien cela, toutes occupées qu’elles sont, nuit après nuit, à nous saluer de leurs balbutiements nécessaires. Imagine l’obstination de leur course, leur dialogue avec le vide, la boussole en forme d’horizon. Disparues depuis leur origine, elles persistent pourtant et racontent leur périple au vivant. “Ne te retourne pas… Ne te retourne pas”. Aie la capacité de naître et de mourir chaque jour. Sois au plus près de l’être que tu habites et qui s’y déploie en silence. Fais place, accueille, aie confiance.

Dans les gravats d’un monde qui s’effondre, subsiste la poussière qui offre aux vagues l’espace d’un repos, d’un répit avant de nouvelles courses. Chaque grain agglutine nos pas. Prolonge le voyage. Indéfiniment.

“Ne te retourne pas, ne te retourne pas.”…

Allons tous ensemble contempler les étoiles.

Anne

Cotonou, le 8 avril, 9h12

Objet : Re :re : re : re : Il est temps d’allumer les étoiles

Ce matin…

Je reviens à de la trivialité.

Je t’avais demandé la situation en chiffre à Avignon. Peut-être que cette question est passée sous les étoiles et les étoiles l’ont emportée.

Je suis plongé depuis hier dans la trivialité du Coronavirus grimpant à 26 casuels. Et comme je l’ai sans doute noté, un décès ! La tension ne fait que tendre vers l’explose, nous savons tous le tas nos installations (j’aime bien dire le tas pour l’état). Espérons que l’arrivée tardive de l’injonction” masque obligatoire qui entre en vigueur aujourd’hui nous donnera de l’air.

Ton dernier message est un peu Chamanisme en poème. C’est fort ! 

Ne pas se retourner individuellement, oui.

Mais se retourner collectivement sur nos pratiques, oui.

Donc finalement ne pas se retourner signifie se retourner ou faire de retourner nos états sur leurs choix politiques ! Ça sera une avancée vers un système fougueux, joyeux et moins nocif.

Ne pas se retourner est donc inventer une gouvernance qui n’est pas éprouvée encore. Il y a des corps électeurs et des corps collectifs. On a besoin de collectifs solides pour essayer et tendre vers un nouveau désir.

Je vais essayer de repartir dehors ce jour… hier c’était disette de tout mouvement.

Voilà ….

Tiens je reçois un poème de Habiter le monde par la poésie….

Grand bond pour aller lire 

Je te reviens

Bonne heure 

Hounhouénou

Saint-Michel l’Observatoire, le 8 avril, 19h26

Objet : re : re : re : re : Il est temps d’allumer les étoiles

Salut à toi homme des contrées lointaines…

Je tente d’abolir la distance et les mots aident à rapprocher les êtres retranchés dans ce “chacun chez soi” quelque peu étriqué. Je commencerai donc au plus proche comme tu me le demandes, bien que j’aie momentanément déserté la cité des Papes. L’écho de ses atermoiements continue de me parvenir tout comme celui de ses solidarités, nombreuses, bien que peu spectaculaires. Paradoxe apparent pour une ville de théâtre dont la principale source d’économie risque d’ailleurs de disparaitre. Le rendez-vous que tu es le premier à connaître et à fréquenter de près, oscille entre maintien et annulation avec les conséquences à prévoir quelle qu’en soit l’hypothèse. Affaire à suivre…

Ceci dit, à ma connaissance toute prosaïque des choses, et à ce que l’on murmure, Avignon s’avère une élève appliquée à l’exercice du confinement, dans les cités comme ailleurs, malgré les difficultés engendrées pour les familles. Je ne m’appesantirai pas sur un registre de comptabilité macabre tant pour moi, la mort d’un être seul et confiné demeure en soi un événement irréparable, même s’il était unique, ce serait toujours un de trop. Nous avons beau savoir que la mort fait partie de la vie, qu’elle s’en avère la condition même, nos sociétés s’évertuent à la pourfendre dans un élan don quichottesque auquel je n’échappe guère. On détient les paradoxes qu’on peut…

Nous portons tous, il me semble, nos histoires en bandoulière, peu ou proue encombrées par le poids du passé, leurs errances, leurs prières, leurs sacro-saintes ordalies. Elles nous habillent, nous confinent et nous confèrent une posture plus ou moins assumée selon les circonstances et habitent le présent, quoi qu’on en dise. C’est entendu comme un point le serait à la ligne. Ce qui m’intéresse ici, c’est la suite de l’histoire qui, bien que conjuguée au présent, parvient à échapper aux circonstances, au fatal fatum en embuscade. Là encore rien de forcément spectaculaire. Je n’attends rien des roulements de tambours et des promesses d’apocalypse ou pas grand-chose.

Je pense à mon amie Thérèse esquissant quelques pas de danse sur le plancher du salon, l’extase au bord des yeux, me regardant mutine, avant de tremper son doigt dans le pot de confiture et de me murmurer ” Ça c’est pas bien, ça c’est pas bien ! ” dans un grand éclat de rire. Elle approchait alors de ses quatre-vingt dix printemps… Elle m’a appris la préférence des matins clairs aux grands soirs. Le propre chaque révolution n’est-il pas de tourner en rond ? Je lui préfère la lente course des étoiles, le rendez-vous avec la Lune qui nous fait paraitre si petits, si dérisoires et pourtant se révèle dans notre regard. Certes, elle nous précède et survivra au vivant. Elle n’a que faire de nos jérémiades ou de nos tourments. Mais la glaneuse d’images que je suis m’a aussi appris la puissance du regard lorsqu’il se partage. Les présages intimes ne laissent aucun écho s’ils ne sont pas nommés, seulement des traces vouées aux vents… 

Ici, la lumière, à l’instant où je t’écris esquisse elle aussi un dernier pas de danse, elle offre du grain à ceux qu’elles touchent. Quel bel instant de grâce que l’orangé qu’elle diffuse, si tu savais… Le flux du genre humain se fait discret, à l’écoute du chant du monde, comme une louange. Je respire. Simplement.

Écoute…

Anne

Cotonou, le vendredi 10 avril, 00h14

Objet : re : re : re : re : re : Il est temps d’allumer les étoiles

 Bonsoir Anne,

J’ai perdu la notion du temps

J’ai cru comprendre que je devais m’évader

J’ai donc plongé en moi pour trouver des sorties, des entrées.

J’ai puisé un temps d’hébétude et je me suis mis à écrire des poèmes adossés au néant

D’où mon silence soudain

Un silence niant l’autorité du chaos et reliant mon moi à l’absurdité de cette écriture qui me venait vive et vivante à vriller toute virulence.

En silence et marginal j’ai écrit un premier poème en hommage

MERCI
Puisque la répétition n’épuise pas les possibilités de surprises ,
allons-y


Merci à tes épitoges,  journées réelles imaginaires
Merci  les élégies d’histoires rares
Merci les intensifs qui n’en finissent pas d’enivrer
Merci pour tous les feux de bois sans bois
Merci pour la cossue d’Italie et ses fresques

Merci pour la photographie si colorée
Merci pour la légende absente,  car là où tout est donné il y a maldonne
Merci pour l’événement essentiel de vide momentané
Merci pour l’idée ensoleillée des confins
Merci pour le nouveau qui vient en dilatabilité
Merci pour la belle ouverte sur les anecdotes reconstituées
Merci pour les esquisses surréalistes estampillées
Merci pour le bazar ouvert et même en fête
Merci pour l’aimée distillée entre les liens de qualité
Merci pour la citation de l’inventeur de chance

 
Merci pour les animaux domestiques, ils ont eu des étuis  libations
Merci pour avoir épuisé la corde sur laquelle la note reprendra
Merci pour la fatigue générée en toi par les braves verbes des espoirs
Merci pour l’underground expliqué à ma pomme
Merci pour cette impression de chaleur à chaque passage
Merci pour le jour où on avait un jour d’avance
Merci pour Plougastel et son fauteuil  contre le rocher
Merci pour avoir eu du chien toutes les heures presque
Merci pour la présence aventurée des poules
Merci  pour L’ire de Mars s’efface, Avril se profile et Lueur funambule
Merci pour les dix jardins dix fois fouillés de part et d’autre
Merci pour les dix flaveurs de ton grand chiffre  précis.
 pour les airs chantés depuis

Merci pour cette pause posée là quand l’oiseau sur la branche attendait de gober et de s’envoler
Que les airs reviennent sur nos aires à lire
Que les airs nous comptent les poésies quiètes
Que les airs reviennent en veux-tu en voilà
Que les airs se suivent
Que les airs aériens soient
Que les airs contents
Que les coquilles s’ouvrent
Que les aires les gobent

J’ai eu le verbal en sustentation cutanée
J’ai été embarqué puis engagé ensuite,
Nous avons été ainsi saisis de téléologie
Quand la chronique quille se dansait cinq à cinq

Dansante oie ,tatouée piégée
Dansante oie d’aire de la brise
Dansante oie esthète top
Dansante oie la danse flottante
Dansante oie azimutée liane
Dansante oie la totalité enchantée
Dansante la liberté de battre la campagne pour chasser les mythes
Dansante ville italianisée , voix soleil bisbille
Dansante  la saltation d’encorbellement , l’insigne signe d’infini

dansant les exquis zigzag de sens
Dansant volte face brevetable  
Dansant végétale sellette
Dansant le ” saving me ” contre le “Carnivorous »
Dansant la pagaille des lettres
Dansant l’alphabet Babel  

Dansant gigogne bille intentionnelle

Je viens, joyeuse téléonomie , éveiller l’axiome

il est le sein de la glossolalie étalagée

Fin

Ensuite j’ai proposé un autre poème en fichier attaché.

J’ai lu deux pages de Camus en réunion de lecture à distance, un salon de Lecture qui résiste

Salon du nom de LESSANSSALONS

Du coup j’ai pas oublié de répondre à ton dernier message, la réponse a été différée.

Je ne suis pas sorti aujourd’hui, je suis resté en moi et j’ai puisé les ressources là

Je plonge doucement vers des rendez-vous avec moi-même…

A demain

Bonnes heures

Joël

Saint-Michel l’Observatoire, le samedi 11 avril, 14h39

Objet : Objet : re : re : re : re : re : re : Il est temps d’allumer les étoiles

Jojo,

Et merci pour ces mercis, donnés en partage. Je reviens à toi au seuil des heures les plus intenses.

Juste pour une courte visite, je ne t’oublie pas…

L’homme dont je partage les journées s’éveille, là, à son heure, juste derrière la porte. Me tarde de le retrouver. Jolie expérience du vivre ensemble assez inédite pour nous qui nous oblige à la vigilance renouvelée. Je ne te révèlerai rien : on apprend beaucoup de soi à travers le miroir de l’autre à condition de savoir trouver la juste distance, ce qui ne va jamais de soi. Nous avons simplement fait évoluer nos alternances entre solitude chérie et mise en partage. Sans chercher à les abolir ou à les minimiser, nous reconnaissons l’autre dans ses propres oscillations. Nous le voulons libre, y compris de nous-mêmes. Je chéris cet être de savoir nous accorder cela. Bien-sûr les incompréhensions, bien-sûr les projections et leur vertigineuse mise en abyme que nous ne pourrons pas à combler – pourquoi le faire ? -. Ce mystère de ce tout autre, intangible, qui suscite le vertige…

Je te reviens bientôt, promis…

J’ai confiance en tes capacités de naissance et de renaissance. La porte est ouverte

Je t’embrasse

Anne

Cotonou, mardi 14 avril, 9h36

Objet : re : re : re : re : re : re : re : Il est temps d’allumer les étoiles

Anne, 

J’attendais des nouvelles de la République pour partager des ressentis avec toi ! Je pense parler de la République Française ! Mais hier à part le bronzage et l’heure absconse de 20h02.. j’ai rien entendu de notable! Donc je pulse le matin pour te dire que COTONOU se rétrécit dans le vécu.

Je ne sais quand nous allons nous revoir, mais je sais que le moment sera définitivement festif ! … j’espère que le coup sera tenu jusqu’au 12 mai …le onze mai étant le progrès du dehors ! 

Moi je suis dans le château des figés ici 

Je suis figé dans une hébétude passagère

Je suis les figés du monde y lire des airs diffus et je baille souvent 

Cette année me semble une vive année car elle nous secoue et j’espère que le Sommeil sera long à venir après.

Je pense bien à toi 

Je pense bien à Fred 

Je pense bien à Philippe 

Je vois bien Zéphyr

Et surtout j’espère que tes parents tiennent le coup ? 

La santé de ta mère ?

Je suis enfin le bouquet que je voudrais t’envoyer

Bonne journée

Joël

Saint Michel l’observatoire, mardi 14 avril, 17h14

Objet : Ce dur désir de durer

Ô Jojo…

Plaisir de te lire dans ce temps étiré de l’absence. Le sablier suspendu dessine parfois de bien étranges géographies où rode souvent l’ennui.

J’interroge moi-même la notion de “progrès” – progrès pour qui ?… – , je lui préfère la notion d’oscillation tant ce sentiment me traverse au fil des jours. Je n’en perçois pourtant ni la source pas plus que la destination et qu’importe. Les discours me laissent peu ou proue de marbre, ils ont le relent des rengaines et cherchent à entretenir l’illusion. Seule la poésie me réchauffe à l’orée des visages familiers au creux des heures.

Je suis bien en peine de mesurer aujourd’hui la démesure de cette expérience, je sais que chaque jour j’apprends à me laisser traverser par ses signes. Espérance, colère, stupéfaction, élans en tout genre, chaque émoi me ramène à la communauté du vivant, vers la nécessité d’entretenir les liens, ceux qui libèrent pour paraphraser un passeur. Et la poésie, fidèle de toujours ou presque m’accompagne dans ce cheminement qui me conduit vers l’autre. Parce qu’elle nait du silence, de la plus profonde de mes solitudes, du gouffre.

Chacun connait intimement l’empyreume de la mort, venue nous visiter au seuil de la nuit. C’est dans ce face à face qu’il a bien fallu choisir. À cet endroit, pas d’échappatoire possible. J’ai appris lettre à lettre – que j’ânonne toujours – trois signes assemblés en forme d’étreinte O-U-I. Une consolation aux pieds des mots. Peut-être pour échapper à l’innommable. Se faire chambre d’écho à ceux et celles qui m’ont précédés et qui furent dans l’incapacité de dire. Les hommes tout particulièrement mais pas seulement. Les non-dits de la paysannerie habituée qu’elle était à courber l’échine au plus près de la terre et des morts. La colère de mon père s’étranglant dans la gorge. Oscillation des mots cherchant l’échappée et de ce fait nommant, se voient condamnés à un exil sans retour.

Hasard ou coïncidence, des portes se sont ouvertes. Elles avaient la forme de ces pages oubliées au fond d’une étagère, dans la bibliothèque du collège. A comme Apollinaire, B comme Baudelaire, C comme Cadou, D comme Desnos, E comme Éluard… j’avais enfin trouvé ici mon bestiaire, des compagnons d’une route toujours à inventer. Ils m’ont donnés à apprivoiser ce silence. Ils m’ont aidés à l’appréhender non pas comme le puits sans fond où s’échouent les mots à naître mais comme le refuge nécessaire des mots en devenir. C’est un pan d’histoire de cet Antre Lieux qui s’inscrit sous mes doigts comme un espace en devenir faits de rencontres, d’improbables et d’expérimentations au seuil de la poésie, au-delà de ses chapelles, des courants qui la traversent et de toutes de ses contradictions.

Qu’adviendra-t-il de tout cela, je l’ignore. Je ne sais si le séisme qui nous fait vaciller nous et toutes nos certitudes épargnera nos édifices bien fragiles et je me garderai bien de présumer pour ma part de mes forces. Je me dis juste qu’il nous faut investir le présent, c’est dans cette capacité que, peut-être, nous esquisserons l’avenir avec la tendresse qu’il convient avec “ce dur désir de durer”  où “le temps déborde” promis par Éluard.

“Le jour est paresseux mais la nuit est active…”

Je t’embrasse

Anne

Cotonou, le mercredi 15 avril, 2h18

(Objet) : Re : Ce dur désir de durer

Soir Anne,

Ton message est tellement fort que je dois relire doucement demain pour mieux saisir les sucs.

J’avoue que je suis enveloppé par une certaine langueur, une langueur de plage en ce moment.

D’ailleurs j’étais à la mer tout à l’heure avec une amie

J’ai lu un texte ” Le dernier Loup” de Kraszhnahorkai

Une journée étrange vient de me filer entre les sens,

L’ambiance à Cotonou est très étrange, entre la peur des citoyens et citoyennes et le sursaut de vie. Nous tenons la barre de la vie.

Champions et championnes du  bal masqué de cette vie, nous allons fragiles et en regain d’énergie.

Je me vois dans ton arrière-cour et tu me sers un menu café si apprécié et soudain tu montes régler une affaire et je t’attends dans cette attente joyeuse.

Je traverse mon quotidien en m’échappant ainsi vers les liens d’antan. Ton lien notamment. Puisque je marque le pan ici, je voyage là-bas pour mieux osciller vers la vie. . La notion d’oscillation me raconte de belles choses  elle est superbe. Osciller sans ces discours aux mots creux et vides. Osciller dans le jus poétique. Osciller pour habiter le monde par nos poétiques de la relation.

Relation par nos messages en ce moment

Relation par les lectures à venir

Tiens d’ailleurs, j’aimerais bien qu’on mette en place cette oscillation de lecture ..; Il est fort possible d’y arriver avec nos ténacités

Dans ma retraite Cotonoise ce qui me manque le plus est le lien littéraire avec toi par exemple, heureusement que nous avons les messages pour agiter l’espoir

Ce qui me manque est  l’autre dans ce qu’il a de différent.

Organisons les lectures dites donc, c’est un présent de manière à investir le grand présent  de nos vies.

Nous aurons d’autres présents à vivre

Nous aurons à fouetter l’ennui pour que les géographies se redessinent autrement

En ce temps d’ennui, je dors paradoxalement dans des sommeils contraires

Je chercher là à  aller draguer l’horizontal

Dors Bien

Joël

Saint Michel l’Observatoire, jeudi 15 avril, 21h08

(Objet) : Re : re : Ce dur désir de durer

Bonsoir Jojo

C’est étrange, cette manière de recréer des rites. Minuscules cailloux essaimés au vent de notre quotidien avec ce potentiel espoir de rattraper nos miroirs enfouis dans les sables mouvants du passé. Une étendue liquide que viendrait iriser l’espace de nos souvenirs lorsque l’on plonge dans une mémoire incertaine, les traits de l’autre vacillent. Besoin de le saisir dans sa matérialité factice. Il m’arrive alors de lui parler à voix haute, guettant en sourdine l’écho de sa voix. Je me rends compte que même avec toute la force de persuasion dont je peux être capable, me voilà bien incapable de réunir l’ensemble des tonalités de son chant, son grain m’échappe comme une ligne de fuite.

Alors les rites… presque identiques si ce n’est dans l’ondulation qu’ils convoquent. Le café du matin dans une autre tasse presque similaire, un seul sucre, fidèle à l’habitude, la brèche inaltérable laissant transparaitre une trace en forme de rond sur la table, essuyée d’un revers de main nonchalant, manière de balayer un présent ostensible. Te lire à la lisière d’un sommeil encore proche. Les mots s’échappent en gerbe à force d’être contenus dans un espace trop étroit de solitude. Et lui derrière la porte, faisant émerger l’effluve de ses rêves qui affleurent parfois. Un rond de fumée exhorte le silence du dedans. Rite comme une ritournelle enrayée sortant de l’abime afin de mieux rompre la monotonie des jours qui n’ont besoin d’aucun prétexte pour advenir.

Tic-tac. La conscience s’ébroue en étirant ses plaintes. Le projet, lui, est renvoyé vers des temps immémorables, tout dispersé qu’il est dans celui de l’impératif du rite à nouveau convoqué au présent de l’indication. Un poème partagé au gré des lectures… il arrive de plus en plus souvent qu’il s’invite par retour de courrier. Mystère renouvelé de l’inconnu(e) qui répond du tic au tac dans l’effusion des mots de l’urgence. Je m’attache à répondre à chacun, la relation se noue dans la reconnaissance. Quelques mots suffisent souvent, à endiguer le vide, à désarçonner l’absence. Cela, je le sens obscurément. Autre rituel aux airs de discipline, presque une ascèse, qui endigue la vague et lui permet ainsi de s’évacuer vers des plaines moins arides.

L’enfant que nous portons au fond de nous s’est réveillé au bord de la nuit. Il pleure. Obstinément. Il a besoin de la voix qui rassure, écoute, console. Du sang qui circule lorsqu’il pose son visage le temps de l’étreinte. Du regard dans lequel il s’enroule. Les géants se sont évadés de ses draps maculés du sang de ceux qui le précèdent. Trop longtemps. Il s’agit aujourd’hui de faire place nette. De renouer avec le passé et d’exiger des morts leur repos par la consolation, et, enfin, de faire fi de l’attente.

Bien à toi, toujours.

Anne

Saint Michel l’Observatoire le 18 avril 2020, 11h40

Objet : Te chercher dans la nuit et faire chanter les arbres

Jojo,

Trois jours que les brumes de la nuit n’accueillent plus tes mots lorsque l’aube les déchire. Les fleuves qui t’habitent se seraient-ils taris ? Entre deux clignements de paupière, l’absence tressaute et l’imaginaire invente alors le chaos du chemin. Tu es loin et voilà que la géographie se moque encore de nous. Combien de pas séparent de la maison les cœurs assoiffés ? La fatigue se dérobe sous le verbe dans l’errance des jours alors qu’il suffit de dire mais quoi dire, comment façonner le silence et dans quel soubresaut de l’exode ?

Dis-moi encore, je t’attends.

Anne

Cotonou le 18 avril 2020, 13h47

Objet : (Re) : Te chercher dans la nuit et faire chanter les arbres

Bonjour 

Ici, Cotonou Hirsute foule le ciel assoupli.. J’ai eu un béant de jours par un vide abyssal. J’ai perdu la notion des heures puis des jours. Je me suis laissé phagocyter par cette période. Groggy je suis resté enfermé dans la maison …sans rien faire et le faisant à un niveau supérieur ! J’ai lu avec attention cette prise de prose que tu envoies ! Magnifique et habitée par ce que je connais de toi. 

Je me demande soudain si tu sais que j’ai posé des questions sans réponses ? C’est important les questions miennes pour moi. Éclaire moi.

Sinon, après ce trou d’air d’aire en aire …je pense entamer une nouvelle ère….je vais reprendre la ville en moi ce samedi ( j’ai appris hier par mes hôtes hilares que vendredi était hier ) pour aller cueillir quelques bouquets de lumières ! D’ où le fameux ” Cotonou Hirsute foule le ciel assoupli ” ….

Trois jours déjà

Mais je suis de nouveau à bras tendus vers les mots. 

Je suis de nouveau là … à retrouver un rythme…les nouvelles viennent et le rythme de l’arpenteur est resté à quai 

Les nouvelles avalanches de pandémie

Les nouvelles ronronnent à n’en plus finir 

Je finirai par me trouver un rythme adéquat qui me laissera équanime face à tant de remous 

Merci pour tes poèmes de messages

Le mien veut te rassurer 

Le mien est un message de bonne santé 

Je vais bien 

Je vais chambouler mais bien 

Bonnes humeurs de soleil 

Cotonou Hirsute va vraiment fouler le ciel à plus

Jojo

Cotonou le 26 avril 2020, 9h47

Objet : (Re) (re) Te chercher dans la nuit et faire chanter les arbres

Bonjour

Anne ! Anne !

En échange de ta quête je te cherche.

Je te cherche aussi ! 

J’espère que le moment de silence est chaud de venir dans votre entourage ! Chaud dans le sens du vivant ! 

A Cotonou, je commence par compter les lattes des horloges et à vouloir un déclic ! Mon rythme est frisé d’arythmie de folie ! J’ai le vertige horizontal…

Hier ! J’ai pu joindre un groupe de dix personnes pour un lire cinq chapitres de la folle littérature du roman Choléra de Joseph Delteil ! … Nous avons eu chaud et vaste programme qui va de refaire samedi…

Je vais revenir à Camus ! Une pause était en soin.

Ton silence augure des volubilités à venir j’ose croire.

Le dimanche est presque fini 

Il vient de commencer et  pourrait continuer mais que faire 

Tendresse 

Joël

Saint Michel l’Observatoire le 26 avril 2020, 11h35

Objet : (Re) (re) (re) Te chercher dans la nuit et faire chanter les arbres

Jojo…

Voilà des jours que je commence à t’écrire et les mots finissent par tomber un à un dans l’inachevé. Ô gouffre…

Je suis rentrée chez moi quelques jours avant de revenir ici dans notre campagne et ses oiseaux qui s’époumonent de printemps. Les narcisses envahissent les champs, talonnés par les coquelicots à moins que cela ne soit le contraire va savoir…

Besoin impérieux de rompre avec la monotonie d’un confinement qui s’étire, de regagner mes pénates, mon Antre et mes livres pour y plonger la tête la première. Sans oublier le ronron du matou qui ces derniers temps s’est mis à visiter les cieux quitte à être ensuite confiné à son tour sur les toits environnants. Une requête urgente  auprès de la Providence histoire de décrypter l’humain et ses derniers manèges, ou un besoin impérieux de dominer la situation, là encore va savoir… Tu seras mon entremetteur auprès du greffier des confins lorsque tu reviendras ici, c’est promis. 

Aujourd’hui comme hier les mots  manquent pour nommer l’hébétude, le va et vient des horloges et à ce jeu point de rémission. Pardonne mon silence, les mots sont restés inhabités de nos histoires, tu n’en es aucunement responsable, crois-moi. Je ne cherche aucune excuse, seulement ton pardon. 

Demain je plongerai dans les bribes bafouillées ça et là à ton endroit. Peut-être trouveront-ils une nouvelle cohérence, qui sait. Je marche dans la nuit dans la tiédeur – quel vilain mot – des jours. 

Je t’embrasse

Tendresse à toi

Anne

Saint Michel l’Observatoire le 27 avril 2020, 15h09

Objet : (Re) (re) (re) (re) :  Te chercher dans la nuit et faire chanter les arbres

Bonjour ami des contrées lointaines,

Pardonne à nouveau mon silence. Non pas que je t’oublie mais le temps s’épaissit au fur et à mesure des jours. J’ai eu ainsi besoin de créer une rupture, de fuir l’insignifiance qui envahit l’être et le prive de toute substance dans l’écoulement des heures. Besoin de renouer avec l’intérieur, de m’arrimer à un refuge que les mots sémaphores ont provisoirement désertés me laissant pantelante face à toute forme de vacuité. La présence bienveillante de l’aimé ne suffisait plus à endiguer cette ligne de fuite, pire même, j’avais peur qu’elle ne le contamine lui. Le mal a dit  : “infecte d’autre territoires”. Il s’insinue au creux du plus intime, dans notre élan. C’est à cet aune, que je m’aperçois combien le désir peut être fragile.

Je reprends donc la parole ce matin dans le cahin-caha de l’écriture qui cherche toujours sa source. C’est comme si celle-ci devant le désordre du monde, elle avait éprouvé la nécessité non pas de disparaître mais de s’enfouir, par précaution peut-être, de se voir elle-même contaminée à son tour par la peur. Dans ce lien à la fois puissant et fragile que je peux avoir avec les mots, j’ai l’impression de n’être – de naître également – qu’une porte, un pont, un point de passage, une transition à la fois dérisoire et nécessaire. À l’image de tous ces atomes qui constituent la vie même. Pour que celle-ci advienne, il ne faut pas que l’un d’entre eux manque à l’appel. Un peu comme si l’espace blanc de la page recelait une prière, voire une louange, qu’il fallait à tout prix recueillir. Recueillement, oui c’est cela… 

Pardonne mon vocabulaire tout empli de cette relation quasiment religieuse aux êtres et aux choses de l’invisible. L’endroit d’où je te parle est un peu partout peuplé de cette relation intime. Pas à pas, j’apprends à en décoder les signes, tentant de faire le tri entre mes origines – culturelles, sociales, cosmogoniques -, leurs prolongements ou leurs ruptures, avec tout le vagabondage que cette tentative représente. C’est un chemin parfois chaotique mais ô combien passionnant. Nos sociétés occidentales ont perdu le lien avec l’enchantement du vivant. Tout n’est que comptabilité, ratio, gestion, efficacité, discours… Une sorte de parangon révélateur d’une véritable misère se dévoile aujourd’hui. Réponse unilatérale face à cet infini mystère de la vie au lieu du néant. Le colosse contemple désormais ses pieds d’argile. Il lui faut désormais compter avec la voix du vent afin d’esquisser quelques pas. Tout cela pour partir à la rencontre de l’autre et métamorphoser sa relation au monde dont il fait juste partie.

En cet instant de solitude, je nourris cet espace qui me faut déchiffrer signe après signe dans un lent apprivoisement. J’aspire à être à son écoute avec toute l’humilité que ce dépouillement requiert. J’ignore tout des mots qui me traversent, de leur cheminement, de leur infusion à l’oreille de celui ou de celle qui les reçoit. Je les cultive comme une offrande et les partage comme tels avec l’étonnement de l’enfant. Ils n’ont rien à démontrer, rien à conquérir, pas davantage quiconque à convaincre.

Ils frappent aujourd’hui à nouveau à ta porte. Trouveront-ils de quoi étancher leur soif, de quoi l’attiser même ?

Je t’embrasse humblement

Anne 

Cotonou le 2 mai 2020, 03h03

Objet : (Re) (re) (re) (re) (re)  :  Te chercher dans la nuit et faire chanter les arbres

Soir Anne

Pourquoi te pardonner quand tu m’écris  de si jolis présents

Un texte si fouetté de l’intérieur et j’en suis bien heureux

J’ai beaucoup aimé ta prose si toi et si frontière de toute ta passion de l’être

Ici, la ville commence par se regarder dans mes yeux. et l’ambiance sanitaire galope de plus belle , nous sommes en plein essor de pandémie avec nos vingt cas nouveaux

Cette course au virus fige nos jours dans une léthargie forcée et un poil désagréable, mon avenir navire vacillant sur la mer du présent donne dans des absences.

Je suis incertain sur tous les détails de ce monde mais le bonheur va au jour le jour.

Là je jauge le temps du soir en volant des farniente de rien. Je suis assis et je fais des choses disparates , genre mener une discussion de haute voltige avec mes hôtes sur la cohérence des africains vivants en France , sur le racisme , sur l’esclavage ..;Bref , une sorte de boulbène à modeler avec dextérité et bonne humeur. J’ai été dans mon village aujourd’hui avec un grand joyeux bondissant cœur.

Tout est avant l’orage on dirait mais on tient le bon nuage

Bonne nuit

Joël

Saint Michel l’Observatoire le 10 Mai 2020, 17h30

Objet : (Re) (re) (re) (re) :  Te chercher dans la nuit et faire chanter les arbres

Nous y voilà Jojo… Demain, de là où je t’écris, la porte de nos vies confinées depuis 55 jours va à nouveau s’entrouvrir laissant échapper la promesse de l’autre. Et malgré la cohorte d’interrogations qu’elle suppose et les peurs qu’elle engendre,  cette perspective me donne un doux vertige. Les adultes sous tutelle que nous sommes devenus, vont réapprendre à marcher dans un monde qui ne sera sans doute plus tout à fait le même. 

De quelle semence nourrirons-nous nos pas ? Dans quel sens ? Il s’agit désormais de nourrir nos imaginaires atrophiés par l’angoisse d’un monde échappant à la toute puissance humaine. Une fois encore, Éros et Thanatos s’avèrent en passe de se livrer un duel sans merci, tout amnésiques qu’ils sont de ne former que les deux faces d’une même pièce. 

En cette heure, il me semble plus que jamais nécessaire de nous poser la question de l’enchantement du monde, nul ne peut s’en dédouaner. Il en va de la survie de tous.

Demain, je rentre à la maison que tu connais retrouver mes empreintes, mes livres sans oublier mon matou et ses moustaches. Après un passage urgent chez le dentiste, je vais me ré atteler à de nouvelles expérimentations – sans compter celles en cours – et j’espère bien que tu feras partie de la fête. Pour l’instant la survie de l’Antre Lieux ne va pas de soi, il va falloir aller puiser de l’énergie dans ce qui nous anime. Je ne me résous à rien et surtout pas à cette chance de te revoir très vite. En sais-tu davantage à ce sujet ? Toujours les mêmes histoires de frontières imbéciles…

J’ai tellement hâte !

Anne