OUVRONS LA FENÊTRE

Jour 40

Je range tes lettres comme des papillons ou je ne sais quoi. Comme des pages de lumière vivante qui battent des ailes avant qu’on ne repousse le tiroir. Je les entends remuer la nuit, le jour. Tu sais à quelle vitesse s’éteignent ces brasiers qui nous font croire plus vivants. Cette sorte d’amour. On a beau tourner la page, c’est encore la blancheur. On n’entre jamais ici, on effleure.

(…)

Je cherche l’accord complice, la présence aveugle des choses dans l’ébloui de la terre qui énonce. Je cherche avec toi le bruissant et le vivace, le disparu et ses bourrasques, le lieu qui n’est pas le lieu mais sa douce scansion comme un secret qui lui échappe. Je cherche le rien d’en haut, le rien d’en bas, le périple de la clarté, le corps charnel, le temps revenu. Je cherche d’autres lettres confuses dans l’espoir insensé d’une lumière naissante, une obole, pour reprendre à la mort son poids de chair et de source. Des lettres en lambeaux sous la pluie de ton haleine, ton épaisseur qui m’effraie et dont je ne sais rien qu’un écho. Des lettres de l’approche, de presque nuit : la lente venue – et ce qui vient, peu importe, c’est cette lenteur invisible qu’accompagne la ferveur.

(…)

Entoure ta profondeur et tremble avec elle. Respire ce que dit l’arbre et ce qui n’est ni son nom, ni le tien. Touche la conviction imprononçable, le vaste sourire sous les choses. Entoure le dedans qui n’est pas toi. Soumets l’effacement à l’effacement, le cerceau du nom à des boucles plus larges, l’ombre au jour immense, jusqu’au silence, encore.

(…)

Quand je ne sais plus écrire, je m’allonge sur ta peau. C’est qu’il y a des mots dans ton corps, un chant que tu fredonnes. Tu règnes sur ce cœur, muette et souveraine. Un peu de pluie, un peu de nous commence et tâtonne entre ces lignes, vers la source inconnue du monde.

 

Dominique Sampiero

In La Fraîche évidence

Éditions Lettres vives / collection Entre 4 yeux