OUVRONS LA FENÊTRE

Jour 50

Ça ne bouge même pas.
C’est comme sur le ciel la trace
d’un vol mais sans les oiseaux
ou comme le bruit de l’eau
mais sans eau. Ça n’est pas là.
C’est, en toi, ce qui n’est ni
ton corps ni, dans ton regard,
l’éclat qui porte ton nom.
c’est sans mot, mais ça insiste
comme sous la peau, le sang.

 

Même si on ne sait pas.
Avec des gestes pour rien.
Même si on dort, si c’est
dans la lenteur de l’amour,
avant le sommeil. On dit
tu as entendu, écoute.
Les mains s’arrêtent, les mots.
On voit l’ombre d’une tasse
et son anse sur le mur.
C’est le bord. On ne voit pas.

 

C’est peut-être la lenteur,
un feu qui brûle sans flammes.
Malgré moteurs, hurlements,
le vent arrêté, les feuilles
immobiles avec les ombres.
C’est peut-être un germe d’air,
l’imperceptible, son aile
absente sous les images.
On attend. Les mots se taisent.
C’est là. Ça ne viendra pas.

 

Même si tu sais que rien
ne sera dit, même si
se répète chaque jour
avec ses mouches, ses fleurs,
dans sa profusion d’images,
tu t’arrêtes. Entre deux ombres,
la même ombre. Il y a comme
quelqu’un qui parle. C’est là.
Mais sans mots,sans bouche presque:
un bruit d’eau — ou autre chose.

Toujours. On voudrait savoir.
Cet intervalle, toujours.
Comme entre ton corps, le mien
le fil qui n’existe pas.
Mais il est là, on est sûr,
pareil aux mouches qui grincent
et qu’on ne voit pas, pareil
à ce qui souffle. Tu te dis:
ce n’est même pas de l’air,
c’est autre chose, mais quoi.

 

Jacques Ancet

In L’imperceptible

Éditions Lettres Vives